Même si la catégorie de "sauvage(s)" lui paraît contestable, Marmontel l'utilise dans Les Incas pour frapper l'imagination de ses lecteurs et les engager à interroger leurs préjugés. Le "sauvage" s'inscrit ainsi dans un dispositif indissociablement poétique et critique qui participe de la réflexion anthropologique et historique des Lumières. La relation tripartite entre les "sauvages", les Incas et les Espagnols constitue en effet un dispositif tout à fait révélateur des difficultés que soulève le concept alors émergent de civilisation dont les Incas et les Espagnols incarnent deux visions antithétiques. Entre les deux, les peuples dits "sauvages" permettent une vaste expérimentation des évolutions vertueuses ou perverses dont les sociétés humaines sont susceptibles selon qu'elles sont guidées par les lumières de la raison ou par des aspirations égoïstes et irrationnelles.