, Mais il existe curieusement aussi un « domaine de Françon » à Biarritz, belle demeure possédant des vitraux. L'association d'idées présidant au choix du cadeau, dans l'esprit d'Anne, a pu exister (vitrail, point de contact spirituel / pays basque, lieu de rencontre physique). Surtout, il faut noter l'allusion directe à Françon / François, personnage de « changeur », c'est-à-dire d'alchimiste, de magicien, changeant le plomb en or, éveillant, transformant les êtres, les choses et les situations. Lui-même ne s'y trompe pas

, Anne joue un rôle qui dépasse celui d'un simple accomplissement épistolaire ou même charnel : il s'agit d'aider l'amant, par-delà les obstacles et les difficultés, à réaliser le chef d'oeuvre, l'union des corps dans une même âme, capable d'un projet suprême 40 . Cette certitude est récurrente et contagieuse, elle soutiendra les amants d'une crise à l'autre. Les fréquents trajets de l'homme politique vers Château-Chinon, en passant par Nevers ou Vézelay, ponctués de haltes (seul ou à deux) encouragent ces éclairs de mysticisme et renforcent l'amant dans ses élans d'écriture. À l'hôtel du Vieux Morvan

. Nièvre and . De-bonne-heure, Quelle beauté ce serait que de parvenir à cette union totale, que d'associer nos vies dans l'absolu, que de réaliser le chef d'oeuvre qui défie l'absence et la mort. Tu t'appelles Anne et je t'aime. Je t'aime passionnément 41 ». Cette « nomination » de l'amante se fait régulière (« Tu t'appelles Anne ») comme pour rappeler l'unicité de la femme choisie et réaliser une forme d'union idéale, hors mariage civil ou religieux. On trouve même fréquemment l'usage d'un vocable spécifique forgé par l'épistolier pour désigner les deux amants réunis sous un même nom

». Annefrançois, Ce surnom qui désigne le couple comme indivisible est martelé dans les moments d'enthousiasme ou de doute, p.130

«. , Je prends un bic pour continuer !). J'ai besoin de toi pour devenir ce que je suis, vol.417, p.606, 1969.

, Ou plutôt c'est t'aimer qui m'invite à franchir les distances qui me séparent de l'Unité » (ibid, Lettre, vol.484, p.670, 1970.

, Au fond j'avais pensé sans autre problème que nous serions Annefrançois toute la vie. Ça me semblait tout naturel et je t'ai laissée dans ton angoisse et seule devant le choix

, Comme je t'aimerai ! La pensée ce soir sera-t-elle assez forte ? Sentirai-je ta main sur mon front, ton souffle contre mon oreille pour échapper au mal qui vient ? Dans la nuit de Saint-Benoît cette fille merveilleuse, mon amour, m'avait guéri. Mon Anne, toi qui m'attendais très tard toute droite emportée dans l'élan mystique, viens à moi

, Mitterrand ayant quitté sa villa d'Hossegor, ancien port d'attache estival près des Pingeot où les amants pouvaient se rencontrer même parcimonieusement, investit dans une bergerie de l'arrièrepays, à Latche, qu'il rénove complètement. Toutefois il la destine non à sa maîtresse, mais à son autre femme, Danièle, dont il lui est impossible, eu égard à ses ambitions, à ses valeurs aussi, de se séparer, Cette nouvelle période dans la vie du couple connaît en effet des déchirures. F

, l'un des lieux de l'illumination amoureuse originelle, est une référence récurrente des Lettres chaque fois qu'Anne se rebiffe, refuse de poursuivre la relation et la claustration insidieuse qu'elle implique 44 . A contrario l'appellation surprenante de « fille » (cette « fille merveilleuse 45 »), qui revient de nombreuses fois sous la plume de l'épistolier pour la désigner, pourrait nous surprendre, étant donné qu'elle semble insister sur l'extrême jeunesse d'Anne et son célibat, source virtuelle de désunion plutôt que d'union. Mais il faut plutôt la comprendre, en dépit de la dimension potentiellement incestueuse de la relation (toujours présente 46 ), comme une réaffirmation mystique. On peut citer en parallèle ce fragment de la première lettre d'Héloïse à Abélard, Les repères mystiques sont là toutefois comme des points d'ancrage

. Ibid, , vol.495, p.673, 1970.

. Ibid,

, Vieille chanson ! Les haltes, les églises inconnues, l'air du soir, la nuit entrelacée, la terre qui nous appartient

J. ,

. Loire, Ou encore : « Une immense douceur me possède, un désir immense de pénétrer en toi par le coeur, de ta main aussi, vol.484, pp.669-670

T. Fais-de-moi-ce-que and . Voudras, Jamais je ne délierai le vrai serment, celui qui me scelle à toi plus qu'un sacrement, vol.543, p.748, 1971.

, Voir aussi (chaque fois dans la prise de congé) : « Tu es ma merveilleuse fille et je t'appartiens, vol.546, p.753, 1971.

, Je commence à sentir un peu de fatigue. Mais toi tu es ma merveilleuse fille, vol.593, p.777, 1971.

, Je suis parfois comme un enfant que tu aurais fait. L'inceste encore ! Qui a l'avantage sur tous autres vices de durer, lien de chair plus subtil que les liens du coeur, vol.543, p.748, 1971.

, éternité de la relation qui l'unit à son maître et amant, entre magistère et lien filial spirituel

, tes « amies », tes « compagnes », ces noms ne nous conviennent pas ; nous sommes celles qui seules t'aiment vraiment, tes « filles » ; qu'on emploie, s'il s'en trouve, un terme plus tendre et plus sacré 47 ! Autre référence à la mystique amoureuse, dans la même lettre de crise du 5 janvier 1971 (« Il n'y aura pas de rupture, horrible, horrible mot ») : « Je ne sais d'où me vient cette disponibilité qui m'attache à toi et à toi seule parmi tous les êtres du monde, Tu es engagé envers nous par une dette bien plus pressante : qu'on ne nous appelle pas, en effet, vol.48

, Ainsi les références médiévales, spirituelles et mystiques sont-elles innombrables dans les

. Lettres, non seulement via la passion d'Anne pour le Moyen âge que François essaie de satisfaire par de fréquentes visites de lieux d'histoire, d'églises et de cathédrales, dont il rend compte ensuite par de fidèles récits 49 ; mais aussi via une mystique amoureuse qui emprunte beaucoup au schème courtois, puisque la relation elle-même s'est construite sur l'idée d'obstacle (social, spatial, voire temporel)

, De même Anne, dans son besoin éperdu de liberté, s'est construite sur ce défi (à la famille, à la société, à son époque,) tout en se soumettant à la volonté de l'amant par ce don de soi qui est le lot des femmes de son milieu, auquel son éducation n'a pas pu la soustraire. C'est ce qu'elle appelle

. Abélard-et-héloïse, . Correspondance, and . Zumthor, , vol.10, p.123, 1973.

, Lettre, vol.543, p.750, 1971.

, Puis nous nous sommes arrêtés à Plaimpied pour l'église romane, simple et droite, à Véreaux, Nous avons visité la cathédrale (pour la cinquième fois ?), la crypte (quel beau gisant de Jean de Berry !), vol.598, p.779, 1971.

». «-c'est-ici-qu'intervient-la-«-courtoisie, Abélard et Héloïse, quelques lignages nobles, spécialement dans l'Ouest et le Sud-Ouest de la France, et qui ne tarda pas à se diffuser dans le royaume entier

, Au centre du schème imaginatif et langagier où vont désormais s'inscrire des milliers de discours et le dynamisme du chant érotique (la voix parlée du désir), se pose une situation type, qui est celle de l'Obstacle. Le désir que je porte et qui me porte se tend vers un objet que, quelles que soient les circonstances et les modalités de son fantasme, « je » ne possèderai jamais dans la « joie », c'est-àdire dans la parfaite liberté et l', pp.17-18

, Elle est punie aussi par la castration d'Abélard, ce qui implique pour lui le renoncement aux charges et aux honneurs : « aux castrats, l'Église interdit l'exercice de toute charge pastorale ou administrative 51 ». Tandis que pour F. Mitterrand, qui accède aux honneurs, la castration échoit à Anne seule (privée de vie sociale et de reconnaissance privée, voire publique) : « Il manque le sacrement social et la présence qui crée la cellule (vie quotidienne, enfants etc. 52 ) ». À Anne seule ? Quoique. Les deux amants s'accomplissent dans des vies prestigieuses, pour lesquelles il se sont soutenus mutuellement (la conquête de l'Élysée, celle du musée d'Orsay), mais tous deux en paient le prix d'une existence contrainte et silencieuse : c'est le cloître pour chacun d'eux, consacré par le sublime d'une mission politique / artistique. La grandeur de ce double destin s'explique alors et se justifie en partie par la richesse de la « cathédrale, frapper au-delà de la « catastrophe » qui eut lieu pour les uns et pour les autres, mais pas tout à fait dans les mêmes termes

O. Richard-pauchet,

P. Zumthor, , p.24

, Lettre 444, Hossegor, 10 août 1969, p.627