, et puis à ce coeur unique et « plein, trop plein, ce coeur full » (RV, 202), « Ce qu'est le coeur de Simon Limbres », dans la magistrale attaque du roman. Chez Filhol, certes la geste est moins lyrique. Pourtant comment ne pas sentir sous la neutralité de l'écriture, la secrète affection pour cette virile solidarité, ces sortes de fratries, ou plutôt de compagnonnage ; des nomades isolés de la vie ordinaire qui parcourent la France comme au temps des cathédrales 16 : des chevaliers de l'atome, certains fascinés par cet autre Graal que constitue le nucléaire : On en croise, même s'ils ne sont pas nombreux. [?] ils jouent à se faire peur. [?] ce qu'ils aiment dans leur travail, c'est les sensations fortes. [?] eux ce qui les attire c'est le danger, c'est la certitude tous les jours de pouvoir se mettre en danger, pressent dans les transports publics) pour embrasser les mondes, jusqu'à la planète bleutée qui dérive dans un pli du cosmos, suspendue en silence dans une matière gazeuse » (RV, 204) : pour revenir aux coeurs innombrables: « discontinuité du monde chacun sa vie chacun la sienne » (RV, 180), pp.63-64

, Il n'y a pas ici de héros nettement individualisé : le plus souvent le « je » se fond dans un nous, ou bien un « on » indifférencié. Mais c'est bien encore de l'humanité qu'il s'agit et de ses rêves prométhéens, immémoriaux : la maîtrise acquise par l'homme des lois de la matière et de la manière, vol.101

, En revanche la fascination de Kerangal pour l'intensité de l'adolescence, son élan vers les aventures au-delà des limites semble relever d'une génération nouvelle : la plupart de ses romans en témoignent, en particulier Dans les rapides et Corniche Kennedy. Même si la référence culturelle au passé (littéraire notamment, ou cinématographique) est prégnante, l'écrivain non seulement intègre la culture présente, mais se tourne résolument vers le futur. Elle épouse le tempo de la vie moderne, avec cette écriture qui « pulse » pour reprendre une expression qu'elle emploie souvent. Aucune nostalgie, une confiance plutôt dans le devenir du monde, on observera pour finir ce qui sépare fondamentalement les deux oeuvres. Élisabeth Filhol écrit dans le sillage de François Bon, elle a dit son admiration pour Duras, dont elle cherchait cependant à se libérer